La pédagogie de l’intégration - L’approche par les compétences de base
1 L’approche par les compétences de base
1.1 L’approche par les compétences de base en quelques lignes
L’approche par les compétences de base repose essentiellement sur les travaux de De Ketele à la fin des années 80, basés sur la notion d’objectif terminal d’intégration.
Développée sous le terme pédagogie de l’intégration (Roegiers, 2000), l’approche a été opérationnalisée par le BIEF progressivement dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique depuis les années 90, essentiellement au niveau de l’enseignement primaire et moyen (l’école de base), ainsi que de l’enseignement technique et professionnel.
Basée sur le principe de l’intégration des acquis, notamment à travers l’exploitation régulière de situations d’intégration et l’apprentissage à résoudre des tâches complexes, la pédagogie de l’intégration tente de combattre le manque d’efficacité des systèmes éducatifs (voir ci-dessous les résultats de l’expérimentation).
1.2 Les objectifs de l’approche par les compétences de base
On peut dire que cette approche poursuit essentiellement trois objectifs principaux (Roegiers, 2000).
(1) Il s’agit tout d’abord de mettre l’accent sur ce que l’élève doit maîtriser à la fin de chaque année scolaire, et en fin de scolarité obligatoire, plutôt que sur ce que l’enseignant(e) doit enseigner. Le rôle de celui(celle)-ci est d’organiser les apprentissages de la meilleure manière possible pour amener ses élèves au niveau attendu.
(2) Il s’agit également de donner du sens aux apprentissages, de montrer à l’élève à quoi sert tout ce qu’il apprend à l’école. Pour cela, il est nécessaire de dépasser des listes de contenus-matières à retenir par cœur, des savoir-faire vides de sens, qui trop souvent ennuient l’élève, et ne lui donnent pas l’envie d’apprendre. Au contraire, l’approche par les compétences lui apprend à situer continuellement les apprentissages par rapport à des situations qui ont du sens pour lui, et à utiliser ses acquis dans ces situations.
(3)
Il s’agit enfin de certifier les acquis de l’élève en termes de résolution
de situations concrètes, et non plus en termes d’une somme de savoirs et de
savoir-faire que l’élève s’empresse souvent d’oublier, et dont il ne sait pas
comment les utiliser dans la vie active. En cela, l’approche par les compétence
de base est une réponse aux problèmes d’analphabétisme fonctionnel.
1.3 Les principales notions relatives à l’approche par les compétences de base
1.3.1.1 Qu’est-ce qu’une compétence ?
On dit de quelqu’un qu’il est compétent lorsque non seulement il possède certains acquis (connaissances, savoir-faire, procédures, attitudes, etc.), mais surtout lorsqu’il peut mobiliser ces acquis de façon concrète pour résoudre une situation-problème donnée.
Exemples de compétences
(1) Tenir une conversation téléphonique qui ne fait pas appel à un vocabulaire spécialisé, et dans sa langue maternelle
(2) Rédiger une facture simple (5 à 10 articles)
(3) À partir d’une situation vécue mettant en évidence différents problèmes de pollution de l’eau, de l’air et de pollution par le bruit, proposer des solutions appropriées aux différents problèmes identifiés au préalable.
D’une façon plus précise, une compétence est “la possibilité, pour un individu, de mobiliser un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une situation-problème qui appartient à une famille de situations” (Roegiers, 2000).
Parler des compétences suppose que l’on évoque tout à la fois :
- les ressources, c’est-à-dire les savoirs, savoir-faire et savoir-être que l’élève va devoir mobiliser ;
- les situations dans lesquelles l’élève devra mobiliser ces ressources.
1.3.1.2 Les ressources
Les ressources sont essentiellement les savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires à la maîtrise de la compétence.
Dans l’exemple (1) ci-dessus, les ressources suivantes sont mobilisées :
- savoirs : la connaissance d’un vocabulaire de base pour une conversation téléphonique, les formules de politesse… ;
- savoir-faire : la formulation d’une question, la formulation d’une réponse à une question posée, le fait de se présenter, l’utilisation du futur, de l’imparfait... ;
- savoir-être : le fait d’adopter une attitude cordiale, de s’intéresser à son interlocuteur...
Ces ressources relèvent de ce que l’élève apprend à l’école. Elles font l’objet d’apprentissages organisés à cet effet, que ce soit de façon traditionnelle, ou à travers des situations-problèmes didactiques, où l’élève est mis au centre des apprentissages. D’autres ressources entrent toutefois en ligne de compte, comme les savoirs d’expérience ou encore les procédures automatisées.
Outre les ressources internes à l’élève, ou, de façon plus générale, à celui qui développe la compétence, il y a les ressources externes, nécessaires pour exercer la compétence. Parmi celles-ci, il y a les ressources matérielles : il est difficile de montrer qu’on est compétent pour jouer un match en double au tennis, si on ne dispose pas d’une raquette !
1.3.1.3 La notion de situation « cible »
Une situation « cible » est une situation qui est le reflet d’une compétence à installer chez l’élève. Elle peut être considérée comme une occasion d’exercer la compétence, ou comme une occasion d’évaluer la compétence. Dans l’approche par les compétences de base, quand on parle de situations, on parle de situations « cibles », de situations de réinvestissement, de situations d’intégration (tous ces termes sont des synonymes), pour bien la distinguer des situations didactiques qui, elles, ont pour fonction de développer de nouveaux apprentissages de concepts, de savoir-faire, etc[1]. Certains auteurs utilisent le terme de « tâche complexe » pour désigner une situation « cible ». C’est également un terme intéressant, mais il ne règle pas la distinction entre une tâche qui est une occasion d’acquérir de nouveaux savoirs ou savoir-faire au sein d’un groupe classe (situation-problème didactique) et une tâche qui est visée au terme d’un ensemble d’apprentissages ponctuels parce que représentative d’une compétence à acquérir (situation « cible »).
Ces situations « cibles » sont des situations-problèmes complexes, et pas un simple exercice. Tout comme un joueur de football ne peut pas se contenter d’exercer sa compétence en tirant des penalties, ou en s’exerçant à dribbler, et ne peut véritablement exercer sa compétence qu’en jouant un match de football, un élève ne peut développer la compétence (1) ci-dessus qu’en étant confronté à une conversation téléphonique, dans toute sa complexité. Encore faut-il bien ajuster le niveau : lui proposer de se contenter d’une réplique dans une conversation n’aurait pas le niveau de complexité requis. En revanche, lui demander de faire face à une conversation spécialisée ou dans une langue étrangère serait le piéger, parce qu’il n’aurait pas acquis les éléments qui lui permettraient de faire face. Tout comme le match de football est une situation pour la compétence « jouer au football », une conversation téléphonique est une situation « cible » relative à la compétence (1), à condition qu’elle réponde à certaines caractéristiques, par exemple le fait que l’interlocuteur ne soit pas visible pendant la communication téléphonique, ou le fait qu’il y ait un effet de surprise.
De même, dans l’exemple de la compétence (3), une situation « cible » consiste à présenter à l’élève un contexte de pollution (à travers un dessin, une photo…).
1.3.1.4 La notion de famille de situations
A chaque compétence est associée une famille de situations-problèmes. C’est un ensemble de situations « cibles » dont chacune est une occasion d’exercer la compétence : une occasion d’un niveau de complexité suffisant (en conditions réelles), mais d’un niveau qui ne dépasse pas ce qui est attendu. Toutes ces situations sont dites équivalentes, c’est-à-dire interchangeables en termes de niveau de difficulté et de complexité.
Pour la compétence « jouer au football », la famille de situations se dégage naturellement : c’est l’ensemble des matchs que le joueur pourrait jouer[2]. S’il est compétent dans un match, il le reste dans un autre. Sauf accident, il suffirait à un entraîneur de voir le joueur à l’œuvre dans deux ou trois matches pour apprécier s’il est compétent. Il en va de même des compétences à l’école, qui peuvent être évaluées à travers deux ou trois situations « cibles », voire même une seule, à condition que ces situations soit représentative de la compétence[3]. Ceci ne veut pas dire que l’élève est directement évalué sur sa compétence : il a d’abord l’occasion de s’entraîner. Il en va de même d’un futur conducteur de voiture : quand il a appris le code de la route, et qu’il a acquis les ressources nécessaires pour conduire (embrayer, débrayer, démarrer en côte, etc.), on ne l’évalue pas tout de suite. Il faut d’abord qu’il s’exerce à plusieurs reprises à conduire en situation réelle.
Reprenons les exemples proposés ci-dessus.
• La famille de situations-problèmes de la compétence (1) est l’ensemble des conversations téléphoniques différentes auxquelles l’élève devrait pouvoir faire face (l’une avec une tante qui l’invite à passer des vacances, l’autre avec un ami qui lui demande de ses nouvelles, etc.), à condition qu’elles restent dans les limites fixées : se dérouler dans sa langue maternelle, et ne pas faire appel à un vocabulaire spécialisé.
• La famille de situations-problèmes de la compétence (2) est l’ensemble des factures que l’élève devrait pouvoir rédiger, dans des contextes différents (une facture qui mentionne des achats alimentaires, une autre relative à des pièces de voiture, etc.), à condition que ces factures restent dans les limites fixées : une facture simple, avec 5 à 10 articles.
• Dans l’exemple (3), la famille de situations-problèmes est l’ensemble des situations différentes que l’on peut soumettre à l’élève, et qui combinent de façon différente, dans des contextes différents, des problèmes de pollution de l’eau, de l’air, et de pollution par le bruit.
L’élève ne sera déclaré compétent que lorsqu’il pourra faire face à n’importe quelle situation qui appartient à la famille de situations, la situation étant nouvelle, inédite. La reproduction pure et simple est donc exclue. Pour le concepteur de programmes et de manuels, cela implique que, dans chaque famille de situations-problèmes, il faut chercher à construire plusieurs situations équivalentes. Par exemple, si on mentionne dans la compétence (2) qu’il s’agit de factures de 5 à 10 articles, c’est pour situer le niveau de complexité de la situation. Il en va de même dans la compétence (1) dans laquelle on précise « qui ne fait pas appel à un vocabulaire spécialisé », et « dans sa langue maternelle ». Ces précisions, ou caractéristiques des situations de la compétence sont des paramètres de la famille de situations.
Où se trouvent ces situations ? Elles sont à construire par les enseignants. Cependant, certaines peuvent se trouver à titre d’exemples dans des livrets-programmes, dans des documents d’accompagnement des curriculums, dans des banques de données nationales ou régionales, dans des cahiers de situations pour les élèves ou encore dans des manuels scolaires.
Sur le plan pédagogique, une fois que les apprentissages ponctuels qui préparent une compétence ont été développés, c’est-à-dire une fois que les ressources nécessaires à l’exercice de la compétence sont installées, on présente à l’élève plusieurs de ces situations complexes pour exercer sa compétence (apprentissage de l’intégration) ou pour évaluer sa compétence (évaluation).
Chacune
des situations d’une famille de situations peut donc être exploitée
indifféremment dans l’apprentissage (pour apprendre à l’élève à intégrer ses
acquis) ou dans l’évaluation (pour évaluer ses acquis)[4].
1.3.1.5 Qu’est-ce qu’un OTI (Objectif terminal d’intégration) ?
Un OTI (Objectif terminal d’intégration) est une macrocompétence qui recouvre l’ensemble des compétences, et donc l’ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-être d’un cycle (en général 2 ans). Il traduit le profil attendu de l’élève au terme d’un cycle, dans une discipline donnée, ou dans un champ disciplinaire donné.
Il
ne faut pas confondre un OTI avec un objectif général, qui, comme son nom
l’indique, désignait dans
« Les « objectifs généraux » de la pédagogie par objectifs, par définition abstraits et facilement confondus avec de vagues buts ou des finalités, n’ont jamais eu de consistance » (Vial, p. 150).
Au contraire de l’objectif général, un OTI possède un caractère très précis, puisque, comme une compétence de base, il se définit à travers une famille de situations-problèmes bien délimitées. Ces situations-problèmes sont relativement complexes puisqu’elles recouvrent l’essentiel des acquis d’un cycle dans une discipline donnée, ou dans un champ disciplinaire donné.
On recourt également parfois à la notion d’OII (Objectif Intermédiaire d’Intégration), qui recouvre l’ensemble des compétences à atteindre au terme d’une année.
[1] Pour plus de précisions sur la différence entre situation « cible » et situation « didactique », voir Roegiers (2003).
[2] Encore qu’il n’est pas la même chose de jouer un match à l’entraînement, ou devant un public, dans lequel intervient le stress. Ce sont des compétences différentes. On pourrait préciser si la compétence est « jouer un match de football à l’entraînement », ou « jouer un match de football devant un public ».
[3] Et que l’on ait plusieurs occasions distinctes de vérifier chaque critère, comme nous le verrons plus loin (voir page 23).
[4] Pour plus de précisions sur la construction et la gestion des situations, voir Roegiers (2003).