Des savoirs aux compétences : de quoi parle-t-on en parlant de compétences ?
Philippe
Perrenoud
Faculté
de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève 1995
Réussir à l’école
n’est pas une fin en soi. Certes, chaque apprentissage prépare aux suivants
dans le cursus scolaire.
Mais au bout du
compte, en principe, l’élève devrait être capable de mobiliser ses acquis
scolaires en dehors de l’école, dans des situations diverses, complexes,
imprévisibles. L’accent mis sur le réinvestissement des acquis scolaires répond
à un souci d’efficacité de l’enseignement, d’adéquation plus grande des
apprentissages scolaires aux situations de la vie au travail et hors travail.
Aujourd’hui, cette préoccupation s’exprime dans ce qu’on appelle assez souvent
la problématique du transfert des connaissances ou de la construction
de compétences. Les deux expressions ne sont pas interchangeables, mais
elles désignent toutes deux une face du problème :
- pour
être utiles, les savoirs scolaires doivent être transférables ;
- mais
ce transfert exige plus que la maîtrise de savoirs, il passe par leur
intégration à des compétences de réflexion, de décision et d’action à la
mesure des situations complexes auxquelles l’individu doit faire face.
Tout cela pourrait
sembler aller de soi. Mais la scolarité est une longue marche, une tranche
importante de l’histoire de vie des enfants, des adolescents et même des jeunes
adultes, qui dure de 2 à 4 ans à 16 ou 25 ans, selon la durée des études.
Lorsque " l’entrée dans la vie active " est aussi éloignée,
il est facile de perdre de vue l’objectif final, en particulier durant la
scolarité obligatoire, qui a pour mission de donner une culture générale sans
référence à un avenir professionnel particulier. S’il l’on revient
régulièrement, dans des termes qui changent d’une époque à l’autre, au problème
du transfert des connaissances et de la construction des compétences, c’est
parce qu’il n’est toujours pas résolu en pratique.
L’école développe
à coup sûr une compétence : elle prépare ses meilleurs élèves à mobiliser
des savoirs en situation d’exercice scolaire ou d’examen, c’est-à-dire dans un
type très particulier de contexte. Et il se peut que cela suffise à la plupart
des acteurs : les enseignants ont couvert leur programme, les élèves ont
obtenu le droit de poursuivre leurs études. La question de savoir ce qu’il en
restera plus tard, hors de la vie scolaire, n’est pas nécessairement une
question cruciale dans la vie des maîtres et des élèves. À certains
égards, c’est une question encombrante, embarrassante. L’école ne tient guère à
l’affronter. Prendre conscience des limites du transfert des apprentissages
scolaires, reconnaître que les élèves qui réussissent en classe ne sont pas
nécessairement capables de mobiliser les mêmes savoirs dans d’autres
situations, aurait, si l’on voulait ne pas se résigner à ces constats, des
implications considérables en matière de contrat pédagogique, de transposition
didactique, de travail scolaire, de gestion de classe, mais aussi, sans doute,
de coopération professionnelle, de fonctionnement des établissements, de rôle
de l’autorité scolaire.
Je tenterai ici de
cerner ce qu’une approche par compétences et le souci du transfert des acquis
implique pour le métier d’enseignant et le métier d’élève (Perrenoud,
Nous sommes tous
en quête d’une définition claire et partagée des compétences. Hélas, le mot se
prête à de multiples usages et nul ne saurait prétendre donner LA définition.
Que faire alors ? Se résigner à la tour de Babel ? Tenter
d’identifier le sens le plus courant dans une institution ou un milieu
professionnel ? Avancer une définition explicite et s’y tenir ? Je
passerai d’abord en revue trois acceptions de la notion de compétence qui, à
mon avis, n’apportent pas grand chose à la compréhension des problèmes. Je
proposerai ensuite une conception plus exigeante des compétences, en les liant
au transfert et à la mobilisation des connaissances.
Trois
acceptions qui n’apportent pas grand chose
On peut assimiler
une compétence à un objectif, à une performance potentielle ou à un
savoir-faire. Ces trois acceptions sont légitimes, mais me semblent peu
fécondes.
1. Parfois, on
parle de compétences simplement pour insister sur la nécessité d’exprimer les
objectifs d’un enseignement en termes de conduites observables ; on renoue
alors avec la " tradition " - vieille maintenant de 30 ans !-
de la pédagogie de la maîtrise ou des diverses formes de pédagogie par
objectifs. Je n’ai donc rien contre l’approche par objectifs. Elle n’est
nullement dépassée, à condition d’en maîtriser les excès maintenant
connus : behaviorisme sommaire, taxonomies interminables, fractionnement
excessif des objectifs, organisation de l’enseignement objectif par objectif,
etc. (Hameline, 1979 ; Saint-Onge, 1995 ; Goulet, 1995). Connaissant
ces limites, on ne devrait plus, aujourd’hui, oser enseigner sans poursuivre
des buts explicites, communicables aux étudiants et sans en évaluer
régulièrement, avec les apprenants, le degré de réalisation, d’abord à des fins
de régulation (évaluation formative), ensuite, lorsqu’il ne reste plus de temps
d’enseignement-apprentissage, à des fins certificatives. Il me semble que
parler à ce propos de compétences n’ajoute rien. On peut d’ailleurs
parfaitement enseigner et évaluer par objectifs sans se soucier du transfert
des connaissances, encore moins de leur mobilisation, parmi d’autres
ressources, face à des situations complexes. L’assimilation d’une compétence à
un simple objectif d’apprentissage brouille les cartes et suggère à tort que
chaque acquis scolaire vérifiable est une compétence.
2. La notion de
compétence peut s’opposer à celle de performance : la performance observée
serait un indicateur plus ou moins fiable de la compétence, supposée plus
stable, mais qui n’est mesurable qu’indirectement. Dans ce contexte, la
compétence est une promesse de performance de tel niveau moyen. C’est une
acception développée en linguistique aussi bien qu’en psychométrie, mais sa
seule vertu est d’opposer des dispositions virtuelles à leur actualisation,
sans rien dire de leur nature " ontologique ".
3. Les compétences
sont souvent synonymes de savoir-faire. Cet usage n’est pas illégitime, mais il
place dans le même ensemble des savoir-faire extrêmement spécifiques - savoir
ouvrir une boîte de conserve - et des savoir-faire composites, par exemple
gagner une élection.
Une
définition plus exigeante
Je propose de
réserver la notion de compétences à des savoir-faire de haut niveau, qui
exigent l’intégration de multiples ressources cognitives dans le traitement de
situations complexes. Ce qui suggère immédiatement qu’une compétence peut
être décomposée en composantes plus spécifiques, les " éléments de
compétence " dans la terminologie du collégial québécois, les
capacité dans d’autres approches. Quel que soit leur nom, on reconnaîtra que la
somme de ces composantes n’équivaut pas à la compétence globale. Comme toujours
dans les systèmes vivants, le tout est plus que la simple réunion des parties,
parce qu’elles forment un système, comme le rappelle Tardif (1992, 1994).
Comme capacité de
traitement d’une classe de problèmes, autrement dit d’un ensemble de situations
de même structure appelant des décisions et des actions de même type, la
compétence évoque le schème piagétien, structure invariante de l’action
qui permet, au prix d’accommodations mineures, de faire face à une variété de
situations semblables. La différence est que le schème est une totalité
constituée, qui sous-tend un seul geste ou une seule opération mentale, alors
que la compétence est investie dans une entreprise plus complexe, mobilisant de
multiples ressources cognitives d’ordres différents : schèmes de perception,
de pensée, d’action, intuitions, suppositions, opinion, valeurs,
représentations construites du réel, savoirs, le tout se combinant dans une
stratégie de résolution de problème au prix d’un raisonnement,
d’inférences, d’anticipations, d’estimation des probabilités respectives de
divers événements, de diagnostic à partir d’un ensemble d’indices, etc. En
pratique, un schème sophistiqué permet de faire face à certaines situations
complexes aussi bien qu’une compétence élémentaire, mais c’est parce que cette
dernière, initialement constituée au travers d’une chaîne de raisonnements
explicites et de décisions conscientes, s’est graduellement automatisée,
devenant un nouveau schème apte à fonctionner comme cet " inconscient
pratique " dont parle Piaget, ou ces
" connaissances-en-actes " dont parle Vergnaud (1990).
Connaissances
et compétences ne s’excluent pas
Écartons
d’emblée une idée fausse, selon laquelle, pour développer des
compétences, il faudrait renoncer aux connaissances. Ces dernières, au sens
classique de l’expression, sont des représentations organisées du réel ou de
l’action sur le réel. À ce titre, elles sont des ressources
cognitives souvent essentielles dans la constitution d’une compétence. On le
concédera sans doute volontiers si l’on pense aux compétences des
professionnels de haut niveau, médecins, avocats ou architectes par exemple.
Les tâches des travailleurs manuels moyennement qualifiés font appel à des
connaissances plus " pratiques ", moins publiques. Un peu
plus de considération pour les compétences professionnelles les moins
prestigieuses montrerait qu’elles comportent toujours une part de raison
pratique fondée sur certains savoirs. Il n’est pas indifférent que
ces savoirs soient issus de l’expérience personnelle ou collective, du sens
commun, de la tradition ou d’une culture professionnelle plutôt que de la
science. Ce ne sont pas moins des savoirs à part entière, qui sous-tendent
l’action au même titre que les savoirs les plus savants. On sait d’ailleurs que
les professionnels de haut niveau recourent à des savoirs d’expérience autant
qu’à leur bagage scientifique. Leur formation clinique ou pratique les prépare
à agir au delà de ce que leurs savoirs savants pourraient expliquer ou
contrôler !
On se trouve
cependant, en formation générale, devant un vrai dilemme : toute
compétence est fondamentalement liée à une pratique d’une certaine
complexité. Non pas à un geste précis, mais à l’ensemble des gestes, des
postures, des paroles qui traduisent une stratégie. Il ne s’agit pas
nécessairement d’une pratique professionnelle, ou du moins n’est-il pas requis
d’être un professionnel pour s’y adonner. Ainsi peut-on, en amateur,
donner un concert, organiser des voyages, animer une association, soigner un
enfant, planter des tulipes, placer de l’argent ou préparer un repas. Toutes
ces pratiques, toutefois, admettent une forme professionnalisée. Ce qui
n’a rien d’étrange : les métiers nouveaux naissent rarement ex nihilo,
ils représentent en général l’aboutissement d’un processus de professionnalisation
graduelle. Il est donc normal que toute compétence largement reconnue évoque
une pratique professionnelle instituée, émergente ou virtuelle. Faut-il se
battre contre ce phénomène, s’appliquer à définir des compétences sans aucun
lien avec un métier ? Je ne le crois pas. Il me semble plus fécond de
dégager ce par quoi une compétence particulière dépasse le métier dont elle est
devenue l’emblème. Ce problème dépasse d’ailleurs le champ scolaire et se pose
à propos du travail et des qualifications professionnelles (Arsac et. al,
1994 ; Ropé et Tanguy, 1994 ; Perrenoud, 1994 b ; Trépos,
1992 ; Stroobants, 1993).
Construction
des compétences et culture générale
Lorsqu’on vise le
développement de compétences, dans le sens proposé ici, à quels types de
situations complexes et de pratiques se réfère-t-on ? La réponse est assez
évidente dans les formations professionnelles : on prépare à un métier qui
confrontera le praticien à certaines familles de problèmes typiques qui, en
dépit de la singularité de chacun, sont passibles de " programmes de
traitement " (Meirieu, 1989) ou de schèmes (Vergnaud, 1990) d’une
certaine généralité. La qualification de l’élève, en cours et surtout en fin de
parcours, se mesurera à sa capacité de faire face à des situations
professionnelles classiques en mobilisant des ressources cognitives assez
pertinentes et coordonnées pour construire une décision assez rapide pour
répondre à l’événement et assez sûre pour conduire, la plupart du temps, à une
issue acceptable, sinon optimale.
La question est
moins simple dans le cadre des formations générales, notamment universitaires
et préuniversitaires, dans la mesure où elles ne conduisent à aucune profession
particulière, ni même à une famille de professions. D’où la crainte qu’une
approche par compétences accentue le caractère préprofessionnel de
l’enseignement de base et lui fasse perdre sa vocation de culture générale.
Pour répondre à cette crainte, il ne suffit pas de répéter que nul ne songe à
assigner à la scolarité de base la tâche de préparer prématurément à des
professions. Il faut aussi démontrer que former à des compétences n’équivaut
pas à former à des compétences professionnelles.
Certes, si l’on
identifie la culture générale à la simple accumulation de connaissances, on ne
peut qu’identifier les compétences à une formation " étroitement
professionnelle ", voire " utilitariste ".
Toutefois, ce n’est pas la seule conception possible. Préparer les jeunes à
comprendre et transformer le monde dans lequel ils vivent, n’est-ce pas
l’essence même d’une culture générale ? De fait, l’approche par
compétences ne s’oppose à la culture générale que si on donne à cette dernière
un sens traditionnel et étroit. Pourquoi la culture deviendrait-elle moins
générale lorsque la formation de l’esprit ne passe pas seulement par la
familiarisation avec les œuvres classiques ou les connaissances scientifiques
de base, mais aussi par une capacité d’analyse, de mise en relation, de lecture
critique, de questionnement ou de transposition ? On a d’ailleurs souvent
crédité les langues anciennes, l’analyse grammaticale, l’explication de textes,
l’apprentissage de la démarche expérimentale ou l’informatique de vertus plus
globales de formation de l’esprit.
Il reste à
identifier ce que sont les compétences visées par un enseignement de culture
générale. Mon but n’est pas ici de procéder à un inventaire, que l’on trouve
d’ailleurs dans les référentiels de compétences élaborés par les ministères ou
les services spécialisés. La grille du collège Alverno (Laliberté, 1995,
p. 139) me semble donner une bonne idée de la façon de concilier
l’approche par compétences et le souci d’une culture générale :
- Habileté à communiquer de façon efficace en
émettant ou en décodant des messages transmis par une variété de moyens
écrits, technologiques, audiovisuels.
- Capacité d’analyse et ce qu’elle connote comme
capacité de raisonner et de penser clairement.
- Habileté à résoudre des problèmes, recherche la
solution à des difficultés en tenant compte des contraintes et en ménageant
une place à l’intuition et à la créativité.
- Capacité d’entrer en interaction avec autrui dans
des situations de personne à personne et dans des groupes de travail
centrés sur l’accomplissement d’une tâche.
- Facilité à formuler des jugements de valeur et à
prendre des décisions autonomes, ce qui suppose que l’étudiante devienne
capable de discerner des valeurs, de résoudre des conflits de valeurs à
travers un processus de prise de décision et en vienne à se donner un
ensemble de valeurs pour da propre vie.
- Capacité de comprendre les relations entre
l’individu et son environnement, compréhension qui débouche sur un
engagement à travers lequel on assume ses responsabilités face à
l’environnement.
- Capacité de comprendre le monde contemporain dans
lequel nous vivons avec les nombreux défis qu’il pose aux personnes et aux
collectivités sur différents plans : économique, politique, social,
etc.
- Capacité de réagir aux arts : l’étudiante
d’Alverno doit notamment travailler à développer sa sensibilité esthétique
et apprendre à percevoir, analyser, évaluer les diverses formes que peut
prendre l’expression artistique.
On pourrait
évidemment discuter de chaque élément de cette liste et mettre en question
l’homogénéité ou la cohérence de la conception des compétences. Je retiendrai
de cette grille l’idée fondamentale qu’une compétence qu’on associe de prime
abord à une pratique sociale (professionnelle ou non) renvoie souvent à une
" familles " de situations-problèmes plus générales, mais auxquelles
cette pratique confronte régulièrement. La grille du Collège Alverno ne désigne
pas des compétences étrangères aux compétences professionnelles ou sociales,
mais des compétences utilisables dans plusieurs champs de pratique.
Pourquoi
l’enseignement de culture générale ne préparerait-il pas à faire face à des
familles de problèmes, dans un sens très large : il y a problème lorsque
l’intention de l’acteur se heurte à un obstacle qu’il n’a pas le moyen de
tourner en appliquant simplement des routines ou des algorithmes, qu’il ne peut
surmonter qu’en construisant une stratégie originale.
Compétences
et disciplines
Développer des
compétences générales oblige-t-il à renoncer aux disciplines
d’enseignement ? Nullement. La question est plutôt de savoir à quelle
conception des disciplines scolaires on se rattache. Il est évident, on l’a
déjà dit, qu’il n’y a pas de compétences sans connaissances, et ces dernières
sont pour la plupart disciplinaire, dans la mesure où la production des savoirs
savants, et notamment scientifiques, obéit à une division du travail
correspondant aux découpages disciplinaires du réel. Les connaissances sont en
quelque sorte les ingrédients indispensables des compétences.
Mais le rôle des
disciplines est tout aussi important dans la formation des compétences comme
capacités de mobiliser des ressources cognitives face à des
situations-problèmes complexes. Toute compétence de haut niveau est
" transversale " au sens où elle mobilise des connaissances
et des méthodes issues de plus d’une discipline. Cela ne signifie pas qu’il
existe beaucoup de compétences complètement indépendantes de savoirs
particuliers. L’accent mis sur les compétences transversales peut,
paradoxalement, nuire à l’approche par compétences, qui ne nie pas les
disciplines, mais si elle les combine dans la résolution de problèmes
complexes. On peut d’ailleurs concevoir des compétences purement
disciplinaires. Ce sont en général celles qu’on exige d’un chercheur ou d’un
enseignant spécialisé. La transversalité totale est sans doute un rêve, le rêve
d’un no man’s land où l’esprit se construirait hors de tout contenu ou
plutôt, en n’utilisant les contenus que comme des terrains d’exercice plus ou
moins féconds de compétences " transdisciplinaires ". Je ne
peux ici que renvoyer aux réflexions de Marc Romainville.
La
tentation de s’en remettre à la vie
On peut
aujourd’hui, dans l’enseignement secondaire notamment, prétendre dispenser des
connaissances sans se soucier de leur intégration à des compétences ou de leur
investissement dans des pratiques. Cette position peut se fonder :
- soit
sur l’impression que cette intégration se fera d’elle-même une fois le
sujet aux prises avec des situations complexes ;
- soit
sur le refus d’assumer cette intégration, en en renvoyant le souci à
d’autres formateurs, à un encadrement par des praticiens plus expérimentés
ou à " la vie ".
Ces deux raisons
appellent des réfutations distinctes. La première est tout simplement démentie
par les faits : beaucoup d’élèves n’ont ni les ressources personnelles ni
les aides suffisantes pour utiliser pleinement leurs connaissances si cette
utilisation n’a pas fait l’objet d’une formation, ou du moins d’un
entraînement.
Quant à savoir si
on peut confier l’intégration et la mobilisation des connaissances à d’autres
formateurs, intervenant en aval dans le cursus, elle peut être débattue. Je ne
vois pas, en ce qui me concerne, sur qui l’école ou l’université pourraient
compter à coup sûr dans la famille, la cité ou le monde du travail, du moins pour
une fraction des jeune. Ce qui conduit Meirieu et Tardif à soutenir, par
exemple, que le désétayage ou plus globalement l’exercice du
transfert, font partie du travail régulier de l’école, notamment pour tous
les élèves qui, n’étant pas des " héritiers ", ne tiennent
pas de leur famille les ressources ou les appuis que l’école ne peut ou ne veut
leur apporter (Perrenoud, 1995).
Il me semble donc
évident que la scolarité générale peut et doit, autant que les formations
professionnelles, contribuer à construire des compétences. Ce n’est pas
uniquement une question de motivation ou de sens, c’est une question didactique
centrale : apprendre à expliquer un texte avec pour seule intention
d’apprendre n’est pas apprendre, sauf à des fins scolaires, parce qu’il y a
autant de façon d’expliquer ou d’interpréter un texte que de perspectives
pragmatiques.
Décomposer
les compétences peut les faire disparaître…
Encore faut-il que
l’effort d’explication ou d’interprétation s’inscrive dans une intention de
l’apprenant… L’école se contente trop souvent de présupposer cette intention
d’une part, de la réduire d’autre part à l’intention d’apprendre à expliquer ou
interpréter des textes. On peut certes admettre qu’au niveau du collégial, les
étudiants sont capables de voir l’intérêt de travailler des éléments de
compétences.
Une formation
générale peut être tentée de travailler séparément des éléments de compétence
définis à un niveau élevé d’abstraction : savoir communiquer, raisonner,
argumenter, négocier, organiser, apprendre, chercher des informations, conduire
une observation, construire une stratégie, prendre ou justifier une décision
sont des expressions qui font sens, mais laissent la porte ouverte à de
multiples interprétations. On peut comprendre la tentation des spécialistes des
programmes et de l’évaluation standardisée lorsqu’ils illustrent ces
compétences et les fractionnent en éléments de compétence pour mieux réduire la
diversité. On peut craindre que ce soit une mauvaise pente : une
compétence est un moyen puissant de traiter une classe de problèmes complexes.
À trop l’analyser, on risque tout simplement de la perdre de vue…